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Notice sur une antiquité de l'Eglise de Saint-Etienne-du-Mont, à Paris (1836)



Journal de l'Institut Historique

Tome cinq - 1836
p 97

Mémoires

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 NOTICE
SUR UNE ANTIQUITE DE L'EGLISE DE SAINT-ETIENNE-DU-MONT, A PARIS

Lue à la première classe de l'Institut Historique


Messieurs,

Chaque jour voit s'écrouler une pierre de nos vieux monumens. Il n'est pont d'année, point de semaine, point d'heure qui ne vienne, pour ainsi dire, signifier à chacun de nos édifices, qui ne vienne exécuter sur l'un d'eux ce fatal arrêt qui frappe toutes les choses humaines, l'arrêt de la destruction. Jour à jour, page à page, nous voyons ainsi notre histoire s'effeuiller à nos pieds, désormais incomprise. Or, non seulement la restauration de ces monumens devient de plus en plus impossible à cause de l'oubli total et de l'abandon complet dans lesquels sont tombés les anciens procédés technologiques, mais encore le sens de ces textes vivans devient de plus en plus obscur pour ceux-là même qui les ont constamment sous les yeux; et la pensée qui les anime, les traditions qui leur ont donné naissance, s'évanouissent dans la pensée du plus grand nombre, en même temps que les symboles qui, jadis, les rendaient palpables et sensibles, s'effacent et disparaissent de la surface du globe. Messieurs, en des temps comme les nôtres, véritables automnes des arts, le devoir de l'antiquaire est d'abord de prolonger pieusement, autant qu'il est en lui, la vénérable décrépitude de ces témoins des âges consommés; mais, lorsque l'ame de ces vieux corps, lorsque la destination qui les animait viennent enfin à s'éteindre et à les abandonner, ce qu'il y a de mieux à faire est peut-être d'en tracer le portrait et d'enregistrer leur histoire en attendant que la terre leur ouvre dans ses flancs un vaste cimetière et les ensevelisse sous une génération de nouveaux chefs-d'œuvre, ou que leurs plus précieux débris, ainsi que des reliques vénérées, soient déposés dans les musées comme en de somptueux ossuaires. J'ai pensé, messieurs, qu'il appartenait à l'honorable société dont je m'applaudis d'être membre, de sauver de l'oubli, en le mentionnant dans son journal, si elle le juge convenable, un monument historique dont je viens aujourd'hui vous entretenir. Il s'agit d'une peinture représentée sur les vitraux de l'église de Saint-Etienne-du-Mont à Paris, et dont l'explication peut avoir quelque charme pour ceux qui aiment à se rendre compte des nombreuses figures symboliques dont nos aïeux se plaisaient à décorer leurs édifices civils ou religieux. Ce morceau, d'un intérêt plutôt singulier que grave, et d'un travail médiocre qui dénote le dix-septième siècle, a faille l'an dernier être anéanti par un coup de pierre imprudemment lancée du dehors, et cet accident m'a déterminé à le décrire et à rappeler une vieille histoire assez curieuse qui s'y rattache, afin, me disais-je, de perpétuer au moins, pour un bien petit nombre de lecteurs, il est vrai, le souvenir de cette histoire. J'ai eu depuis la satisfaction de voir que mes regrets étaient anticipés; et cette peinture, assez adroitement restaurée, peut se voir encore aujourd'hui à la place qu'elle a primitivement occupée. Le dessein que j'en ai peint à l'aquarelle, d'après un croquis que j'ai pris sur les lieux, en est une copie grossière mais assez fidèle et qui pourra vous servir à suivre plus commodément, messieurs, la description et la courte dissertation que je vais avoir l'honneur de vous présenter (1).
Dans l'église de Saint-Etienne-du-Mont, sur les vitraux de la seconde chapelle des bas côtés à main gauche en entrant par le portail principal, on remarque un blason peint sur verre à la hauteur d'une toise environ au dessus du sol de la chapelle. Je vais décrire ce blason qui fait le sujet de cette notice, et vous me permettrez, messieurs, de suivre, pour être à la fois plus clair et plus exact, les règles et les termes de la science héraldique.
L'écu, de forme ronde, est écartelé aux premiers et quatrième quartiers d'argent à la croix potencée d'or accompagné de quatre croisillons du même, à enquerre, qui est de Jérusalem; aux deuxième et troisième de sinople chargé d'un écu de gueules bordé d'or à la feuille de chêne d'argent qui est de Chalo St-Mard ou de Le Maire; sur le tout, en abime, parti : fascé d'or et d'azur de trois pièces, et d'azur à la corne d'argent qui est de Hardy. Supports : une chimère au naturel à droite becquée et griffée d'or et une levrette d'argent à gauche. Cimier : une hermine portant au cou le volant flottant de gueules issant d'une couronne comtale. L' écu accompagné de deux banderolles flottantes en fasce, l'une au dessus d'argent portant pour devise : MORI (une pointe d'hermine) OFFICIO * QUAM (une pointe d'hermine) FOEDARI; l'autre au dessous de gueules et sur laquelle on lit : NOMEN. AB. OFFICIO. Le tout se détache sur un cartouche dont je me suis attaché à reproduire le détail et se trouve, dans l'original, encadré dans une bordure festonnée, d'un jaune d'or.

La famille d'Eudes la Maire - Vitrail de l'Eglise St Etienne du Mont

EXPLICATION

Cet écu fut placé dans cette église, ainsi que le prouve suffisamment l'armoirie et comme l'attestent les auteurs, par Claude Hardy, issu de Simone Chartier, fille de Tiphaine Le Maire. Ce qui rend ce monument recommandable aux curieux, ce n'est pas l'histoire de ce Claude Hardy, mais bien, l'histoire et l'origine de ce blason. La satisfcation des auditeurs et la clarté de notre récit nous prescrivent donc de faire précéder l'explication de ces armoiries par leur histoire. M. Guizot, dans ses leçons professées à la Sorbonne sur l'histoire de France; M. Maxime de Montrond, histoire de la ville d'Etampes, in-8° 1835. i. 203; l'abbé Vilain, essai sur St-Jacques-la-Boucherie, in-12, p.76, 1ère édition; G. A° de la Roque, traité de la noblesse, CH XLIV. La Chesnaye des Bois, dictionnaire de la noblesse, tome IV, p.151; Favyn, histoire de Navarre, in-fol, p. 1143; D. Bernard de Montfaucon, Monum. de la Mon. fr., tome II, p. 216; Pasquier, Loisel, Chopin et plusieurs autres, ont rapportés cette histoire.
Nous choisissons le récit le plus simple que nous empruntons à l'auteur qui a décrit les obsèques de la reine Anne de Bretagne, imprimé par Th. Godefroy, 1619, in-4°. Cette princesse fut, comme on le sait, transportée du château de Blois où elle mourut, à l'abbaye de St-Denis, où elle fut magnifiquement inhumée. Parlant de l'arrivée du corps à Etampes, l'auteur s'exprime en ces termes : " Il y avoit bien huit cent flambeaux, partie aux armes de la ville, qui sont de gueules à ung château d'or, masoné, fenestré et crenelé de sable. Sur le tout ung escu escartelé; le premier de France, le second de gueules, à une tour d'or, portée, fenestrée et crenelée de sable. Et le parsus (en outre) estoient 600 habitans vestus en deuil, qui portoient chacun un flambeau blanc armorié d'ung escu escartelé, le premier de Jerusalem et le second de synople à un escu de gueule, soustenu d'or, sur une feuille de chêne d'argent. Je m'enquis pourquoi ils portaient ce quartier des armes de Jerusalem; l'on me répondit qu'ils estaient yssus d'un noble homme nommé Hue le Maire, seigneur de Chaillou (ou Chalo), lequel estant averty que le roi Philippe-le-Bel devoit un voïage en Jerusalem, à pied, armé, portant ung cierge; ce que le bon roi ne peult pour quelque maladie qui lui survint. Et entreprint le dit seigneur de Chaillou le voïage, ce qu'il fist et accomplit. Et pour partie de sa rémunération, iceluy roy lui accorda un quartier des armes de Jerusalem. Et franchit et exempta de tous subsides et tailles, luyn ses successeurs et héritiers et ceulx qui d'eux viendront. Ainsi ils sont peuplés depuis en grand nombre. Pour ce, sont ils tenus de venir au devant des corps des Roys et Reynes à leur entrée à Estampes. Et sy ils reposent morts, sont tenus de garder et veiller le corps : ce qu'ils ont fait ce voïage à ladite Reyne, et s'appellent La Franchise.
Messieurs, une autre tradition faisait remonter cet affranchissement à Philippe Ier, et racontait que ce prince ayant fait voeu d'aller en pélerinage au St-Sépulcre, Eudes ou Hue, seigneur de Chalo ou Chaillou St-Mardu ou St-Médard, et Maire d'Etampes, s'offrit d'y aller pour lui, armé de toutes pièces. Le Roi accepta l'offre, et donna à Chalo un privilège d'exemption pour tous péages, tributs et autres droits, pour toute sa race de l'un et l'autre sexe. Eudes partit et laissa sous la protection du roi Ansolde (son fils) et cinq filles qu'il avait; les lettres-patentes données à Etampes, sont rapportées tout au long par Chopin, D. Bern. de Montfaucon à qui nous empruntons ces détails, rejette cette seconde assertion d'une manière absolue, sans la réfuter suffisamment. Pour nous, il semble que l'une et l'autre ont également besoin d'éclaircissemens; mais notre intention n'est pas de nous livrer à cette controverse : nous essayons seulement aujourd'hui de donner l'explication du monument que nous venons de décrire. Quoi qu'il en soit de cette question accessoire, le privilège fut confirmé par le roi Jean, en 1360, par Louis XI, en 1462, et par d'autres rois encore, si bien que le fils de Chalo et ses cinq filles multiplièrent prodigieusement cette race. Les filles de cette descendance étaient extrêmement recherchées, car elles apportaient en dot la noblesse et une sorte de richesse négative, puisqu'elles étaient exemptes, elles et leurs descendans, de tout espèce d'impôts. Mais les rois de France voyant l'accroissement infini qu'avait pris cette famille, et le préjudice toujours croissant qu'une pareille exemption portait aux revenus de la couronne, finirent par rétracter le privilège qu'avait octroyé trop complaisamment leur aïeul. François Ier déclara  par ordonnance royale, en 1540, que les descendans d'Eudes le Maire jouiraient de la franchise, à l'égard de ce qui se lèverait sur leurs fonds, mais qu'ils acquitteraient tous les péages. Henri III, en 1587, fit encore une nouvelle brèche à ce privilège, et enfin, Henri IV, en 1601, fit rentrer les Chalo dans la classe commune, et déclara qu'ils solderaient la taille et tous les droits que paieraient ses autres sujets.
Après cet exposé, messieurs, tous ceux qui ont quelques notions de la science héraldique pourront facilement se rendre compte du monument dont j'ai l'honneur de vous entretenir. Ainsi l'on s'explique fort bien la devise inférieure : "NOMEN AB OFFICIO : mon nom vient de mon office," lorsqu'on se souvient qu'Eudes était maire d'Etampes. Quant à la devise supérieure : "MORI OFFICIO QUAM FOEDARI (sous entendu potiùs) : Mieux vaut mourir que se souiller," il est facile de la comprendre en remarquant les pointes d'hermine qui séparent chacun des mots qui la composent et surtout l'hermine au volant qui sort de la couronne comtale.
J'ai déjà dit au commencement de cette description que la figure d'animal portant au col un volant, était une hermine, et pourtant cette figure, ainsi qu'on peut en juger par cette copie, ressemble très fort à une levrette; mais il parait point douteux que ce fait ne provienne uniquement d'une erreur du peintre qui ayant déjà une levrette à peindre pour support, n'a point hésité à prendre encore pour une levrette l'animal qu'il devait peindre au cimier. Ceci ne présente aucun embarras, lorsque l'on considère vraisemblablement cette peinture ne fut appliquée qu'au 17è siècle, époque où déjà les traditions du moyen-âge et la rigueur des lois héraldiques avaient depuis long-temps commencé à s'effacer. Cette seconde devise, composée de la première, est évidemment empruntée dans son sens propre comme devise, de celle qui, presque toujours, dans les armoiries, accompagne l'hermine au volant, et que l'on peut lire entre mille autres exemple dans la Science héroïque de Marc Vulson de la Colombière, in-folio 1644, livre Ier, page 33.
"Cet animal, rapporte l'auteur que je viens de citer, est si pur et si ami de la propreté, qu'on dit qu'il aime mieux mourir que de se souiller. Dicitur letavia malle potiùs MORI QUAM FOEDARI. Or cette présomption devient une complète certitude lorsqu'on se rappelle que l'hermine au volant était le cimier de Bretagne et notamment celui de la reine Anne de Bretagne, dont on a vu précisément que les Chalo St-Médard, en vertu d'un privilège de leur maison, avaient gardé le corps lors de son  passage à Etampes. Rien, du reste, n'est plus conforme à l'esprit du moyen-âge et aux habitudes du blason, que de faire ainsi allusion dans une armoirie de famille, par des figures dites de concession, quelques coutumes ou à quelques privilège attaché à la maison qui les porte. les livres d'armes en offrent à chaque instant des exemples.
Tels sont, Messieurs, les renseignements que j'ai désiré vous soumettre au sujet de cette vieille histoire, et de la figure qui la rappelle. Le motif qui m'a engagé à solliciter un instant votre attention, est bien moins, je le répète, la curiosité historique que la singularité de cette tradition, assez peu connue, je pense, aujourd'hui, bien qu'ayant joui, comme vous le voyez, d'une certaine notoriété au moyen-âge. Et c'est particulièrement, en outre, le désir de signaler par un exemple, l'utilité, pour les investigations historiques, de certaines connaissances, désormais (et c'est une gloire pour notre siècle) vaines et puériles pour le présent, mais souvent fort nécessaires pour l'étude du passé; je veux parler des connaissances héraldiques.
Enfin je n'ajouterai qu'on mot; pour terminer ce que j'avais à dire touchant l'histoire des Chalo St-Médard. Dom Bernard de Montfaucon à l'article que j'ai précédemment cité, a publié le dessin d'un tableau qui parait être du temps de Louis XII ou de François Ier, représentant Eudes le Maire, suivi de sa femme, de son fils Ansolde et de ses cinq filles, recevant des mains du Roi la charte d'exemption dont nous avons parlé.

AUGUSTE VALLET
Elève de l'école des Chartes, Membre de la 1re classe.

Eudes recevant la charte de la main du roi Philippe Ier

(1) ce dessin a été déposé aux archives de l'Institut Historique

Source : Journal de l'Institut Historique, fondé le 24 décembre 1833 et constitué le 6 avril 1834, Tome cinquième, p. 97, Troisième année (1836)


 
 

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