Accueil Documents sur le privilège de Chalo St Mard (Eudes le Maire et la famille Chartier) Eudes le Maire et la franchise de Chalo St Mard Maxime de Montrond - Sur la Franchise de Challo St Mard - Essais historiques sur la Ville d'Etampes (1836)

Maxime de Montrond - Sur la Franchise de Challo St Mard - Essais historiques sur la Ville d'Etampes (1836)

 Essais historiques sur la Ville d’Étampes

 MAXIME DE MONTROND

SUR LA FRANCHISE DE CHALLO SAINT-MARD

(tome I, 1836)

Chapitre VI - Histoire d'Eudes-le-Maire, dit Chalo Saint-Mard

p. 74
[...]
Un nouveau monarque régnait sur le trône de France. C'était Philippe Ier, sous lequel de grands événemens devaient s'accomplir en Europe et sur le sol de l'antique Asie. Guillaume le Bâtard, à la tête d'une armée nombreuse, était parti de son duché de Normandie, et

p. 75
déjà son bras puissant avait fait la conquête de l'Angleterre, lorsque la voix non moins puissante de Pierre l'ermite, l'Europe entière se réveillait, et s'élançait comme d'un seul bond à la conquête de l'Asie. On sait quelle grande part eut la France à cette brillante expédition. Mais avant le jour où ses enfans coururent, pélerins armés, à la délivrance du tombeau du Christ, un homme généreux avait, par une noble action consignée dans notre histoire, frayé le chemin à ces vaillantes tribus. Cet homme naquit dans nos contrées.La ville d'Etampes s'honore de lui avoir donné le jour. L'histoire ne dit point qu'il combattit avec ses frères sous les murs de Jérusalem; mais pélerin solitaire il les précéda dans ce périlleux voyage, leur apprit par son exemple à marcher vers l'Orient; et peut-être ses récits à son retour ne furent-ils point sans quelque influence sur le succès de la croisade. Serviteur dévoué de son prince, accomplissant un voeu qui n'était pas le sien, on le vit partir seul, à pied, des bords de la Juine, et s'acheminer à pas lents jusqu'aux portes de la ville sainte. Puis, sa mission remplie, il revint dans sa patrie, pour y jouir de la glorieuse récompense qu'il avait méritée, et que la reconnaissance royale voulut étendre à ses descendans.
Le roi Philippe Ier, disent nos chroniques, avait fait le voeu d'aller, armé de toutes pièces, visiter le tombeau du Christ à Jérusalem, de suspendre ses armes dans le temple et de l'enrichir de ses dons (1). mais on raconte que les prélats et les seigneurs du royaume, prévoyant les

(1) Voyez Pasquier, Loysel, Chopin, Morin, etc.

p. 76
maux qu'occasionneraient son absence, s'efforcèrent vivement de le retenir. Alors un de ses fidèles serviteurs, Eudes-le-Maire, dit Challo Saint-Mard, né à Etampes, offrit d'entreprendre lui-même le voyageà la place du roi. Il partit donc à pied, armé comme dans un jour de bataille, et portant en sa main un cierge qu'il allumait à divers intervalles. Il employa, dit-on, deux années à faire ce pélerinage. Arrivé enfin au terme de sa course, il déposa ses armes dans le temple du Saint-Sépulcre, où plusieurs années après on les voyait encore, ainsi qu'un tableau d'airain, mémorial de son voeu. Le noble pélerin avait laissé son fils Ansolde et ses cinq filles sous le patronage du roi. Son retour dans sa patrie fut le signal des honneurs dont ce prince se plut à le combler. En témoignage d'estime et de satisfaction, il lui accorda l'exemption de tous péages, tributs et autres droits, pour lui et pour toutes sa race (1). les historiens ont comparé ce privilège à celui que les Romains donnèrent pour récompenses aux descendansde Thimasitheus, capitaine des Lipariens (2). Et certes, il serait difficile de trouver dans nos annales d'autres exemples d'une pareille libéralité. En vertu d'une clause expresse de cette concession, les serfs du roi, par leur mariage avec les filles d'Eudes-le-Maire ou de ses descendans, devenaient nobles et affranchis de toute servitude. On conçoit aisément que de si grands avantages devaient faire rechercher avec empresse-

(1) Voyez le texte de ce privilège à la note VI, à la fin du volume, et les éclaircissements qui suivent.
(2) Voyez Diodor. Sic. lib IV, C. 24


p. 77
ment l'alliance de cette famille. Aussi nos historiens n'ont-ils pas manqué de nous apprendre que durant longtemps on vit bon nombre de gens riches se disputer la main de ces nobles demoiselles. "Les plus riches marchands, voire des villes frontières de ce royaume, dit Favin, pour jouir des advantages d'icelle franchise, venoient prendre femme à Etampes et aux environs, afin de pouvoir en toute liberté trafficquer francs et quittes de tous droicts et passages. Et ces filles par ce moyen richement mariés sans bourse deslier.
"Numerabant in dote triumphos (1)."
Mais ce privilège semblable, comme on dit un ancien auteur, aux rivières qui grossissent à mesure qu'elles s'éloignent de leur source (2), parut dans la suite des temps si considérable et devint le partage d'un si grand nombre de personnes, que nos rois crurent devoir le restreindre en de justes limites. François Ier déclara par une ordonnance du 19 janvier 1540, que les descendans d'Eudes-le-Maire continueront à jouir de la franchise à l'égard seulement de ce qui sera levé sur leurs propres fonds, mais qu'ils seront tenus à l'avenir d'acquitter tous les droits de péage, tant par mer que par terre, dans la même forme que les autres marchands du royaume.Henri III, l'an 1487, porta une nouvelle atteinte à ce privilège. Il fut entièrement révoqué au mois de mars 1601, par le roi Henri IV. Ce prince, arrêtant par un édit le cours de

(1) Favin, Hist. de Navarre, liv. XVIII
(2) Traité de la Noblesse, par La Roque, ch. XLIV


p. 78
la reconnaissance de l'un de ses prédecesseurs, assimila les descendans d'Eudes-le-Maire au rang de ses autres sujets. Ainsi cette belle prérogative qui semblait devoir subsister toujours comme un monument éternel de la piété et de la justice de nos rois, disparut sous le règne de l'un de nos meilleurs monarques après une durée de 517 ans.
Avant de clôre ce récit sur Eudes-le-Maire, je dois dire quelques mots d'une singulière charge qu'étaient tenus de remplir les descendans de cette illustre chevalier. L'auteur des obsèques de la reine Anne de Bretagne nous fournit à ce sujet un précieux document (1). En parlant de l'arrivée du convoi à Etampes, et de ceux qui sortirent pour lui faire honneur, il s'exprime ainsi dans son vieux langage qui nous citerons textuellement d'après le manuscrit : "Il y avoit bien huit cens flambeaux, portés aux armes de la ville, qui sont de gueule à ung château d'or, maçonné, fenestré et crénelé de sable, sur le tout ung escu escartelé; le premier de France, le second de gueule à une tour d'or, portée, fenestrée et crénelée de sable.
Et le parsus étoient six cens habitans, vestus en deuil, qui partoient chascun ung flambeau blanc armorié d'ung escu escartelé; le premier de Jérusalem, et le second de sinople à ung escu de gueule soustenu d'or sur une feuille de chesne d'argent. Je m'enquis pourquoi ils portoient ce quartier des armes de Jéru-

(1) Voir l'Histoire du convoi et des obsèques de la reine Anne, Imprimées par Théod. Godefroi, in-4°, l'an 1619, et qui se trouve dans un manuscrit de Monsezigneur de Metz, écrit dans le même temps.

p. 79
salem: l'on me répondit qu'ils estoient yssus d'un noble homme nommé Hue le Maire, seigneur de Chaillou, lequel estant adverty que le roi Philippe (le bel) (sic) (1) devoit un voiage en Jérusalem à pied, armé, portant ung cierge, ce que le bon roy ne peult pour quelque maladie qui lui survint. Et entreprint le dit seigneur de Chaillou le voiage : ce qu'il fist et accomplit. Et pour partie de sa rémunération iceluy roy luy octroya ung quartier des armes de Jérusalem. Et franchit et exempta de tous subsides et tailles luy, ses successeurs et héritiers et ceulx qui d'eux viendront. Ainsi ils sont peuplés depuis en grand nombre. Pour ce sont-ils tenus de venir au devant du corps des roys et roynes à leur entrée à Estampes. Et si ils y reposent morts, sont tenus de garder et veiller le corps : ce qu'ils ont fait en voiage à la dite royane, et s'appellent la Franchise (2). "

(1) Il y a sans doute ici erreur dans le manuscrit
(2)
Voir les monumens de la Monarchie française, par le père Montfaucon, t. II - On trouve à la page 216 de ce même volume du père Montfaucon, une gravure assez curieuse tirée d'un tableau peint sur bois, environ vers le temps de François Ier, sans doute par l'un des descendans de Challo Saint-Mard. Le roi y est représenté assis, sa couronne sur la tête, vêtu d'une tunique et d'un manteau d'azur fleurdelisé. Il tient de la main droite son sceptre, et de la gauche, il donne à Challo Saint-Mard des lettres scellées. Celui-ci, ceint d'une longue épée, et armé de toute pièces, comme au temps de François Ier,  fléchit le genou devant son souverain. Derrière lui, sa femme tient de la main gauche son jeune fils Ansolde. Ses cinq filles sont derrière leur mère, presques toutes de la même taille, et portant comme elle un long voile qur la tête. (Voir la note VI, à la fin du volume).


[...]

La remise de la franchise


Note VI
Sur la franchise de Challo Saint-Mard
(Chap VI, p76 et 79)
 
p. 203
 La charte du privilége octroyé par Philippe Ier à Eudes-le-Maire, dite vulgairement la franchise de Challo Saint-Mard, fut donnée au palais du roi à Étampes, au mois de mars 1085. L’original de cette pièce n’est point parvenu jusqu’à nous. Vers le temps du roi Saint Louis, trois illustres abbés, de Saint-Magloire, de Saint-Victor et de Sainte-Geneviève de Paris, certifièrent avoir vu et lu cet original, auquel ils ont déclaré conforme la copie qui leur fut soumise. Voici le texte de cette copie, extraite des archives dite de Challo Saint-Mard, qui furent longtemps conservées à l’Hôtel-de-Ville d’Étampes.

p.204
Charte de la Franchise d’Eudes-le-Maire, dit Challo Saint-Mard

    Notum fieri volumus tam præsentibus quàm futuris. Quod Odo Major de Challo, nutu divino, concessu illustrissimi Regis nostri Philippi, ad Sepulchrum Domini perrexit, qui Ancelidum filium suum, et quinque filias suas in manu et custodiâ Regis nostri dimisit, et ipse Rex pueros illos in manu suâ et custodiâ accepit et retinuit. Concessit quoque Ancelido, et quinque præfatis sororibus suis Odonis filiabus, pro Dei amore, solâ charitatis gratiâ, et Sancti Sepulchri reverentia, quod si hæredes masculi ex ipsis exeuntes, fœminas jugo servitutis Regis detentas, matrimonio duxerint, liberabat, et à vinculo servitutis absolvebat. Si vero servi Regis fœminas de genere hæredum Odonis, maritali lege ducerent, ipsæ cum hæredibus suis, non sint amodo de servitute Regis. Præreterà hæredibus Odonis, et eorum hæredibus, marchiam suam de Challo, et homines suos custodiendos in feudo concessit. Itaque pro nullo famulorum Regis, nisi pro solo Rege justitiam facerent.
     Et quod in totâ terrâ Regis nullam consuetudinem darent. Rex autem præcepit famulis suis de Stampis, ut custodirent Cameram suam de Challo, quia Challo debet custodire Stampas, et earum servandarum curam diligenter habere.
     Et ut hæc libertas, et omnia firma et inconvulsa permaneant, memoriale istud fieri, nominis sui caractere, et sigillo signari, et præsente propriâ manu suâ Cruce Sanctâ

p.205
corroborari præcepit. Adstantibus de palatio ejus, quorum nomina et signa sunt subtitulata. Signum Hugonis Dapiferi, S. Gastonis de Pestiaco Cubicularii. S. Pagani de Aureliis Buticularii. S Guidonis fratris Galeranni. Actum Stampis, in palatio, mense Martio, anno ab Incarnationis millesinio quater-vigesimo decimo quinto, Regni ejus trigesimo septimo. lnterfuerunt præfate libertati in testimonio veritatis Anselmus filius Aremberti. Albertus Bruniconiatus. Gisnerus sacerdos de Challo. Gerardus decanus, etc.
     Ego frater Andreas beati Maglorii Parisius humilis Abbas, testificor me vidisse privilegium illustrissimi Regis Philippi, et verbo ad verbum legisse, prout continetur in præsenti scripto.
     Ego frater Anselmus sancti Victoris Parisius humilis Abbas sic testificor.
     Ego frater Theobaldus sanctæ Genovefæ Parisius humilis Abbas, idem testificor, etc.

 Ce privilége fut confirmé tour à tour par la plupart des rois de France, successeurs, de Philippe Ier, jusqu’au jour où Francois I crut devoir enfin lui assigner des bornes. Le même roi Philippe avait accordé aux héritiers d’Eudes-le-Maire, la châtellenie de Challo ou Challou Saint-Mard. Favin, dans son histoire de Navarre, écrite l’an 1612, dit qu’on voyait encore de son temps à la grande vitre du chœur de l’église de ce village, dédiée à Saint-Médard, les armes de ce bourg, à sçavoir, ajoute-t-il, un chat et un loup, pour les représenter en rebus de Picardie (liv. 18e). On chercherait vainement aujourd’hui dans

p.206
l’intérieur de l’église, quelques traces de cette étrange peinture; mais ce qu’on n’a peut-être pas encore remarqué jusqu’ici, c’est que sur le haut du clocher, à l’un des angles et en saillie, on découvre pareillement l’image d’un chat grossièrement sculptée en pierre. Sur l’angle correspondant se trouve une place vide où l’on doit présumer qu’à raison de la symétrie figurait aussi la représentation de quelque animal. Nul doute que cet animal ne fût le loup lui-même, dont le. temps aurait ainsi moins respecté l’image que celle de son compagnon.
   Le village de Challou Saint-Mard est situé à une lieue environ de la ville d’Étampes.Il est assis sur le penchant d’une douce colline, d’où l’on découvre de belles vallées arrosées par la Loüette et la Chaloüette. A quelques pas des premières maisons, on aperçoit au milieu de grands arbres, une belle et gracieuse habitation, appartenant à la famille de Prunelé, dont le nom est cher à la contrée.
   Le roi Philippe Ier établit à Étampes une chambre (camera) pour la conservation des titres et autres objets concernant le privilége de Challo Saint-Mard. Durant de longues années en effet, on a vu à Étampes quatre partiticuliers, notoirement issus de la postérité d’Eudes-le-Maire préposé à la garde de ces priviléges.
   Les armes de Challo Saint-Mard et de ses descendans sont de Jérusalem, d’argent à la croix potencée d’or accompagnée de quatre croisettes de même, à enquette, écartelé de sinople à l’écu de gueules chargé d’une feuille de chêne d’argent, à la bordure d’or. Pour supports, deux griffons et une levrette sortant à mi-corps de la couronne, avec ces mots pour devise: mori malo quàm fœdari.

p.207
Les descendans d’Eudes-le-Maire prétendent que Philippe Ier leur avait donné pour leurs armes, ce quartier de Jérusalem. Mais c’est une erreur manifeste, dit le docte Montfaucon, car en ce temps-là il n’y avait point d’armoiries, et les rois ne donnaient point de lettres de noblesse.
    Ces armes se voyaient autrefois dans l’église Saint-André-des-Arts, à Paris. On les voit encore sur les vitraux de l’une des chapelles de l’église Saint-Étienne-du-Mont (la deuxième à gauche en entrant par la rue de la Montagne Sainte-Geneviève).



Source :
- Corpus Etampois
- Essais Historiques sur la ville d'Etampes (Seine et Oise) de Maxime de Montrond

Derniers articles

Articles les plus lus

mod_vvisit_countermod_vvisit_countermod_vvisit_countermod_vvisit_countermod_vvisit_countermod_vvisit_countermod_vvisit_counter