"Les plus riches marchands, voire des villes frontières de ce royaume, dit Favin, pour jouir des advantages d'icelle franchise, venoient prendre femme à Etampes et aux environs, afin de pouvoir en toute liberté trafficquer francs et quittes de tous droicts et passages. Et ces filles par ce moyen richement mariés sans bourse deslier.
"Numerabant in dote triumphos (1)."
Mais ce privilège semblable, comme on dit un ancien auteur, aux rivières qui grossissent à mesure qu'elles s'éloignent de leur source (2), parut dans la suite des temps si considérable et devint le partage d'un si grand nombre de personnes, que nos rois crurent devoir le restreindre en de justes limites. François Ier déclara par une ordonnance du 19 janvier 1540, que les descendans d'Eudes-le-Maire continueront à jouir de la franchise à l'égard seulement de ce qui sera levé sur leurs propres fonds, mais qu'ils seront tenus à l'avenir d'acquitter tous les droits de péage, tant par mer que par terre, dans la même forme que les autres marchands du royaume.Henri III, l'an 1487, porta une nouvelle atteinte à ce privilège. Il fut entièrement révoqué au mois de mars 1601, par le roi Henri IV. Ce prince, arrêtant par un édit le cours de
(1) Favin, Hist. de Navarre, liv. XVIII
(2) Traité de la Noblesse, par La Roque, ch. XLIV p. 78
la reconnaissance de l'un de ses prédecesseurs, assimila les descendans d'Eudes-le-Maire au rang de ses autres sujets. Ainsi cette belle prérogative qui semblait devoir subsister toujours comme un monument éternel de la piété et de la justice de nos rois, disparut sous le règne de l'un de nos meilleurs monarques après une durée de 517 ans.
Avant de clôre ce récit sur Eudes-le-Maire, je dois dire quelques mots d'une singulière charge qu'étaient tenus de remplir les descendans de cette illustre chevalier. L'auteur des obsèques de la reine Anne de Bretagne nous fournit à ce sujet un précieux document (1). En parlant de l'arrivée du convoi à Etampes, et de ceux qui sortirent pour lui faire honneur, il s'exprime ainsi dans son vieux langage qui nous citerons textuellement d'après le manuscrit : "Il y avoit bien huit cens flambeaux, portés aux armes de la ville, qui sont de gueule à ung château d'or, maçonné, fenestré et crénelé de sable, sur le tout ung escu escartelé; le premier de France, le second de gueule à une tour d'or, portée, fenestrée et crénelée de sable.
Et le parsus étoient six cens habitans, vestus en deuil, qui partoient chascun ung flambeau blanc armorié d'ung escu escartelé; le premier de Jérusalem, et le second de sinople à ung escu de gueule soustenu d'or sur une feuille de chesne d'argent. Je m'enquis pourquoi ils portoient ce quartier des armes de Jéru-
(1) Voir l'Histoire du convoi et des obsèques de la reine Anne, Imprimées par Théod. Godefroi, in-4°, l'an 1619, et qui se trouve dans un manuscrit de Monsezigneur de Metz, écrit dans le même temps. p. 79
salem: l'on me répondit qu'ils estoient yssus d'un noble homme nommé Hue le Maire, seigneur de Chaillou, lequel estant adverty que le roi Philippe (le bel) (sic) (1) devoit un voiage en Jérusalem à pied, armé, portant ung cierge, ce que le bon roy ne peult pour quelque maladie qui lui survint. Et entreprint le dit seigneur de Chaillou le voiage : ce qu'il fist et accomplit. Et pour partie de sa rémunération iceluy roy luy octroya ung quartier des armes de Jérusalem. Et franchit et exempta de tous subsides et tailles luy, ses successeurs et héritiers et ceulx qui d'eux viendront. Ainsi ils sont peuplés depuis en grand nombre. Pour ce sont-ils tenus de venir au devant du corps des roys et roynes à leur entrée à Estampes. Et si ils y reposent morts, sont tenus de garder et veiller le corps : ce qu'ils ont fait en voiage à la dite royane, et s'appellent la Franchise (2). "
(1) Il y a sans doute ici erreur dans le manuscrit (2) Voir les monumens de la Monarchie française, par le père Montfaucon, t. II - On trouve à la page 216 de ce même volume du père Montfaucon, une gravure assez curieuse tirée d'un tableau peint sur bois, environ vers le temps de François Ier, sans doute par l'un des descendans de Challo Saint-Mard. Le roi y est représenté assis, sa couronne sur la tête, vêtu d'une tunique et d'un manteau d'azur fleurdelisé. Il tient de la main droite son sceptre, et de la gauche, il donne à Challo Saint-Mard des lettres scellées. Celui-ci, ceint d'une longue épée, et armé de toute pièces, comme au temps de François Ier, fléchit le genou devant son souverain. Derrière lui, sa femme tient de la main gauche son jeune fils Ansolde. Ses cinq filles sont derrière leur mère, presques toutes de la même taille, et portant comme elle un long voile qur la tête. (Voir la note VI, à la fin du volume). [...]

Sur la franchise de Challo Saint-Mard
(Chap VI, p76 et 79)
p.204
p.205
p.206